Vivre dans l’inquiétude...
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Corrida de expectacion, corrida de decepcion. C’est pour nous aficionados, une évidence. On accepte avec résignation et philosophie les tardes désastreuses comme celles que nous avons vécu un peu partout cette année dans le sud-ouest à Orthez, Dax, Bayonne ou Mont-de-Marsan. On dira même que la proportion de pétards est nettement plus importante dans de grandes ferias espagnoles comme Madrid ou Séville. Ca nous glisse sur la peau comme la pluie dans les arènes de Bilbao et on passe à autre chose. La prochaine qui naturellement sera meilleure et qui nous angoisse aussi...
Mais qu’en est-il du grand public qui garnit dans sa plus forte proportion les étagères et qui est le moteur économique de la Fiesta ? Sans lui, convenons-en une fois pour toute, nous ne serions plus là. Lors de l’inauguration de la Foire de Pau, vendredi, plusieurs personnes me confiaient leurs attentes, leurs espoirs (les palois, on l’aura noté, étaient très nombreux à Bayonne). La plupart ont payé un billet cher, souvent dormi à l’hôtel, sacrifié deux belles journées de plage pour aller aux corridas et finalement, pour ce qui concerne dimanche sont sortis déçus.
Il n’est pas question d’en faire grief à personne. Tous les ingrédients étaient là pour réussir... et ca a loupé. Il est pourtant vrai que cette incertitude, essence même de la corrida, est, du point de vue du monde moderne où la notion de retour sur investissment est si forte, une de ses principales faiblesses. Lorsque l’on va à l’opéra ce qui du point de vue du coût représente à peu près la même chose, on paye pour un spectacle qui est garanti. Une partition de Mozart reste une partition de Mozart et avec Cécilia Bartoli on est sur que ce sera bien chanté. Evidemment, dans une arène ce n’est pas du tout pareil. Une évidence pour nous les taurins... qui n’est pas forcémment partagée.
L’incertitude n’est pas dans l’air du temps. On veut en avoir pour son argent. On accepte mal de s’ennuyer pour 70 euros. On veut voir des oreilles coupées. Des héros sortir en triomphe. Avoir des émotions, si possible positives. Il ya en quelque sorte une obligation de résultat qui est impossible à garantir (hormis la présentation sur laquelle soyons intraitables).
"Aimer la corrida, c’est vivre dans l’inquiétude, cette fameuse inquiétude sans laquelle l’Art n’existerait pas", explique l’écrivain Guy Lagorce dans une superbe chronique parue hier dans sud-ouest. Certes ! Mais qui accepte aujourd’hui, dans un monde obsédé par le risque zéro, de vivre dans l’inquiétude ?
Pierre