LA CORRIDA ET SES SYMBOLES...
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Suite et fin de notre série d’articles...
Les matadors sont en règle générale 3. Nous verrons que le chiffre trois revient régulièrement dans la corrida. Trois matadors aidés de 3 banderilleros ou peons qui défilent dans un ordre très précis. Le combat est divisé en trois tiers : tercio de varas –de piques-, des banderilles, de muerte ; annoncés chacun par une sonnerie de trompette et un roulement de tambours –instruments symboliques s’il en est. Chaque banderillero doit poser trois paires de banderilles. La division géométrique de la piste est en trois cercles : le centre, los medios, entre les deux cercles et les tablas pour ce qui est le plus près de la talenquère ou burladero. L’arène est divisée en trois elle aussi : le soleil, l’ombre et l’ombre et soleil, dans le sens verticale et de trois niveaux sur le plan horizontal : barreras et contra-barreras, tendidos et gradas.
Le trois est un nombre essentiel, fondement de la symbolique des nombres qui elle-même est universelle. Trois est un nombre premier impair et il incarne le ciel. On pense bien sur à la trinité chrétienne : le père, le fils et le saint esprit qui s’incarne dans une seule personne. Elle se manifeste par un triangle. Ce rythme ternaire est constitutif selon Georges Dumézil de tout ordre social qu’il décrit ainsi : le sacré, la guerre, le travail ; ou encore prêtre, guerrier, producteur ou pour s’en tenir au concept : sacerdorce, puissance, production.
La géométrie et notamment la question des terrains est fondamentale dans l’acte de toréer. Chacun à son terrain l’animal comme le torero. Le toreo, l’art du torero, c’est la façon d’ ammener le toro à charger en le provoquant dans son terrain. Tout être vivant a son terrain : le chien par exemple n’attaquera que si on entre dans son terrain, son espace.
C’est sans doute vrai pour l’être Humain : on voit bien que la notion d’espace –du terrain d’un groupe humain, d’un peuple, d’une nation- est à l’origine de guerres et conflits ; individuellement on peut dire sans doute aussi qu’on se sent à l’aise sur ce que l’on estime être sur son terrain que l’on défend avec acharnement. Il est intéressant de noter que dans la corrida le terrain du toro est toujours du côté soleil. Il sort du toril toujours placé côté soleil, pour attaquer l’homme qui se situe toujours dans un terrain au début du combat côté ombre. L’homme tentera d’agrandir son terrain ; d’en reprendre par la suite. Mais en règle générale une belle faena, c’est à dire un beau travail s’effectuera à l’ombre. On constate donc que dans ce combat que l’animal est nîmbé du côté solaire et que l’homme dans son costume de lumière travaille à l’ombre ; sous le signe de la lune.
La corrida ne vaut que par son rituel. C’est un spectacle extrêmement ordonné et qui le fut au temps des lumières par quelques esprits éclairés. Avant cela la corrida n’était qu’une boucherie sanglante. La règle, le règlement précis, qui préside à son déroulement date de la fin du XVIII ème siècle et il est lié à la période de domination français en Espagne. Période soit dit-en passant où la F : M. fut très développée. Un président de corrida est là pour faire observer ces règles qui dépendent en Espagne du ministère de l’intérieur. Les infractions sont sanctionnés et ces sanctions peuvent aller jusqu’à la prison si par exemple le matador ne tue pas le toro. On notera par ailleurs que la corrida débute toujours à l’heure précise, que le temps imparti au matador ne peut être dépassé. Il s’agit d’un spectacle où la loi est impitoyable et où le temps joue un rôle capital. C’est dans un cadre très contraignant dans un délai serré que le matador doit jouer sa partition, montrer sa force morale.
La corrida est un spectacle mal compris et sans doute mal défendu qui n’est pas politiquement correct. Un spectacle subversif car au fond et c’est de ce point de vue le seul spectacle de ce type au monde c’est la mort et le sacrifice qui sont mis en scène. La mort dont nous savons qu’il ne faut ni la craindre ni la chérir mais dont nous savons qu’il faut s’y préparer. La mort donc le torero, un homme jeune et déterminé, l’affronte et la plupart du temps il en triomphe. Mais le risque est présent. Et ce héros donne la mort. Tuer un animal on l’oublie trop aujourd’hui c’est un geste banal que l’on cache mais qui est reproduit des millions de fois dans les lieux comme des abattoirs. Un geste industrialisé ; dans la tauromachie la mort est ritualisé elle obéit des règles comme dans un sacrifice biblique. Elle donne donc un statut particulier à l’animal qu’elle respecte et honore, dans son élevage respectueux de la nature et de son bien-être, comme dans son sacrifice, respectueux de son identité. Car il est vrai, c’est une certitude que nous avons tous en tête à ce degré, c’est la clé du degré la mort attend tout animal comme tout être humain ; l’essentiel est de l’attendre avec lucidité, courage et dignité.
Dans le monde du virtuel dans lequel nous vivons où maladie, souffrance et mort surtout sont évacués, la tauromachie nous sensibilise à ce qui est notre destinée combattre, souffrir, triompher de la bête où échouer.
Pierre Vidal