Morante, le torero inattendu...
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C’est un privilège que de voir Morante de La Puebla en direct, même lorsqu’il tombe des trombes d’eau et que les tendidos de soleil madrilènes se transforment en piscine. C’était le cas vendredi dernier. L’ambiance était glaciale et tout le monde se demandait si la corrida se déroulerait. Les nuages ne gênaient en rien la revente et le cours des gradas, malgré les incertitudes célestes, tutoyaient les cent euros (prix de départ 7 euros... une belle plus-value).
Juli, Morante et Manzanares trio du jour et de pros ; les avatars météorologiques ne sauraient les arrêter. 3 et 3 pour cette corrida de Victoriano del Rio. Les 3 premiers manquant de race ; les suivants interêssants ; le quatrième excellent. C’est celui-là justement que Morante sut capter dans les plis de sa cape dès sa sortie. On connaît sa plastique, son sens de la cadence ; on sous-estime sa décision, sa soif de triomphe...
Marginal, certes, car sa faena fut plus subie que réélement construite, le torero de La Puebla, fit rugir le public, glâcé par la douche inessante. Des olés ! profonds comme on ne les entend qu’à Madrid. Ce furent des séquences courtes mais profondes à droite surtout avec, par moment, un temple infini, une délicatesse de demoiselle. Et ce public madrilène souvent prompt à s’enflammer aux prouesses viriles, à céder aux courage sec de ceux qui se la jouent car ils n’ont pas d’ autres recours pour triompher, s’abandonna ce soir-là au charme surrané d’ un artiste baroque.
Pourquoi ? Parcequ’avant toute chose la tauromachie est art, sentiment, beauté et le public madrilène (en vérité, le meilleur du monde) qui a sacré Curro Romero et beaucoup d’autres toreros artistes, finit toujours par se rendre aux arguments de ces magiciens. Le toreo échappe à la logique cartésienne. Il a ses règles, sa technique mais son interprétation -et sa compréhension- éxige d’en faire abstraction. Qu’importent les règles de construction d’un sonnet devant la beauté de la poésie de Ronsard...
Morante, c’est la légerté dans le drâme. La succession de séquences originales, grâcieuses. L’élégance. La spontanéité. Et aussi un certain goût d’inachevé, car on ne peut approcher la perfection que lors de brefs moments. Jamais la mièvrerie, la banalité, la vulgarité. Morante c’ est le reflet de l’âme andalouse versatile et séduisante ; en même temps universelle car nous portons tous, en nous, notre part de rêve.
Morante, le torero inattendu, toujours très attendu...
Pierre Vidal