Mathieu GUILLON : rester torero
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Cette soirée du 6 décembre 2024 à Idron a permis au CTJP de recevoir Mathieu GUILLON, matador de toros et banderillero, Montois d’origine. Comme de coutume, l’ami Miguel DARRIEUMERLOU a assuré avec brio l’animation de cette tarde.
Ayant commencé à voir quelques novilladas avec sa grand’mère, notre invité a rapidement décidé de faire du combat des toros sa vie professionnelle. Pour cela, il a intégré l’école taurine qu’avait fondé le matador de toros Gille Marsal à Campet et Lamolère, près de Mont de Marsan puis, en 2005, est passé à celle de Richard Milan, sise à Cauna.
Mathieu a combattu et tué son 1er eral à Campet et Lamolère en 2006 et a revêtu pour la 1ère fois le costume de lumières devant un animal d’Alma Serena en 2007, année au cours de laquelle il effectuera quinze paseos. Le passage en novillada piquée se fit à Garlin en 2009, et sa carrière de novillero couvrit les trois saisons 2009, 2010 et 2011 avec respectivement six, onze et vingt-quatre paseos. De cette période ressortent en positif, la novillada de Soustons, avec trois oreilles et en plus pénible, celle de Madrid où, dans des conditions difficiles, il dut « s’envoyer » trois novillos.
sa séparation avec Richard Milian, Mathieu arriva « seul » (ce sont ses mots) pour sa prise d’alternative « chez » lui », à Mont de Marsan donc, en 2012, avec des toros de Robert Margé dont le 6ème, manso de gala, lui fit entendre les trois avis. À partir de ce moment, se posa la question pour lui d’arrêter ou de continuer dans ce métier ; il passa 2013 sans aucun contrat et, en 2014, réussit à toréer deux courses en Espagne, pays dans lequel, pour des raisons pécuniaires, il séjourna du 15 août au 11 octobre. En 2015, face à cette situation, il décida de monter lui-même un spectacle avec entrée gratuite et au cours duquel il combattit deux toros de cinq ans ; le fait qu’il y eut 400 spectateurs montra à Mathieu que, même en tenant compte de l’aspect gratuité, il était encore capable de déplacer des gens pour le voir toréer.
Grâce à Jacques Grué, président du club taurin de Villeneuve de Marsan, 2016 lui permit d’avoir un contrat dans cette arène ; suivit une corrida de Victorino Martín en 2017. De nouveau accompagné par Richard Milan, Mathieu mûrit sa décision, et ce mûrissement se concrétisa par le passage « de l’or à l’argent », c’est-à-dire qu’il devint banderillero. Deux raisons déclenchèrent ce changement : d’abord, il banderillait déjà ses toros, et surtout, il reconnaît avec beaucoup de sincérité et d’humilité qu’il ne se sentait pas le courage d’assumer toute la charge que représente le métier de matador, et plus encore dans les arènes « toristes » auxquelles il se savait promis. Il accompagna ce changement de catégorie d’un changement de nom en choisissant l’apodo d’El Monteño (le Montois).
De ce nouveau métier, Mathieu évoque une corrida aux ordres de Thomas Dufau à Madrid, où ils durent se colleter avec un sobrero affreux et quasiment intoréable et, dans un registre plus agréable, la corrida de Dolorés Aguirre cette année à Vic : ayant planté une paire de banderilles spectaculaire à un exemplaire de la dueña plus haut que lui, les Armagnacs l’honorèrent en prenant eux-mêmes la décision de jouer.
Être banderillero, qu’est-ce ? Bien évidemment, ce n’est pas que planter deux paires de palos dans une course, même s’il faut savoir le faire, et de préférence le faire bien ; c’est même plus que passer deux fois vingt minutes en piste pour aider son matador. Ainsi, la présence du peón de confiance lors du sorteo est fondamentale, à commencer par la connaissance de la reata (la lignée) dont est issu chaque toro, et ce dans le but de composer les lots aussi équitablement que possible. Sur ce point, Mathieu nous parle de son admiration -toujours de mise- pour les « vieux » peones quant à l’étendue de leur savoir dans ce domaine. Suivent quelques considérations plus techniques concernant d’autres aspects du métier :
- le nombre de capotazos donnés lors du 2ème tiers : il dépend de la façon dont est placé le toro et de l’endroit où le banderillero le veut ;
- sur quelle corne banderiller ? Mathieu le fait toujours sur la corne droite ; c’est au 3ème (le puntillero) de s’adapter ;
- l’entrée dans une cuadrilla fixe ? C’est bien sûr son souhait, mais pour cela, il faut franchir deux obstacles : le milieu est très fermé et, de plus, Mathieu est français …
-le sueldo (le salaire) : il est fonction de deux paramètres : la catégorie de l’arène (1ère, 2ème ou 3ème) et la catégorie du spectacle (novillada sans picador, novillada piquée, corrida) ;
l’accueil par les Espagnols : Mathieu nous dit n’avoir jamais ressenti de condescendance dans leur comportement avec lui et encore moins de mépris ; - pour lui, et même si cela paraît contre-intuitif, les corridas avec les figuras sont les plus exigeantes ; d’une part, il y a le niveau à assurer et d’autre part, certains élevages sortent des toros souvent plus difficiles à banderiller, tels Victoriano Del Río ;
- quid des revenus hors temporada, donc principalement durant l’hiver ? ¤ à la différence des Français, les Espagnols bénéficient d’un statut professionnel de torero ;
¤ les Français sont, eux, considérés comme des intermittents du spectacle et doivent assurer au minimum 43 spectacles dans l’année pour percevoir une indemnité de « chômage » hors saison ;
¤ de ce fait, les Français qui ne totalisent pas ce nombre minimal de spectacles ont souvent un autre emploi hors saison, ce qui peut être préjudiciable à un entraînement régulier indispensable au maintien de la condition physique ;
-enfin, notre hôte nous fait part d’une impression plus générale qu’il ressent quant à la sélection opérée par la plupart des éleveurs : après la noblesse généralisée des années 2000, il y aurait un retour vers plus de caste et plus de bravoure ([NDLR : ¡ Ojalá !].
L’ami Miguel apporte sa conclusion personnelle en nous disant que, pour lui, en France aujourd’hui, nous avons trois grands banderilleros : Raphaël Viotti, Thomas Ubeda et … Mathieu Guillon.
Comme de coutume au Club, après la remise du cadeau d’usage à notre invité, la conversation a pu se prolonger au cours d’un repas apprécié de tous et au cours duquel quelques canards y ont laissé plus que des plumes ...
Une belle soirée de plus, avec un homme sympathique que nous reverrons avec plaisir dans les ruedos de France et d’Espagne.
Bernard DESVIGNES
photos :© CTJP
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