Corrida/livre
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On le disait Divin ; à son égard, pourtant, il n’est qu’une certitude : Rafaël était chauve. Du parcours paradoxal du torero, de la trajectoire improbable d’un homme, banal dans ses manies mais génial dans son destin, Jacques Durand écrivain et journaliste à Libération où il excelle dans la critique taurine, éclaire la cohérence. « Les histoires de Gallo déposent une fine poudre dans les récits de toro. Celle de perlimpinpin », nous averti l’auteur.
Ce n’est pas rien que de reconstituer, la géographie de Rafaël, de le suivre à la trace dans sa succession de fuites éperdues et de triomphes inouïs ; dans ses disparitions inattendues et ses retours somptueux sur des paquebots de rêve, sans une pésete en poche, mais espéré comme un messie par une foule de dévots.
Quelle logique anime ce phénix ? On le croit perdu corps et biens à New-York, il revient un beau matin, pauvre comme job, accueilli par des centaines de zélotes à la passerelle du paquebot. On lui jette des couleuvres pour l’effrayer, il dessine en leur aimable compagnie des faenas de rêve. Contre toute logique, ses fidèles croient toujours à sa résurrection ; les faits leur donnent raison. « El Gallo fut un torero du troisième type : il ne savait pas ce qu’il faisait et, commentant ses propres faenas, il avouait l’ignorance de ce qui lui était arrivé, tout en précisant qu’à chacune de ses passes les larmes lui coulaient des yeux ».
Il n’eut qu’un seul amour : la Pastora Império, reine du baile admirée par Machado, Valle-Inclan et dans leur sillage toute l’Espagne. Mariage détonant qui dura le temps d’un de ces cigares qui furent les compagnons les plus fidèles de Rafaël. Ils semblaient suffire à un bonheur somme toute simple : "le divin chauve" ne pouvait se séparer de son Havane. On le trouva un soir caché dans l’infirmerie des arènes de Barcelone où il fuyait la vindicte du "respectable", tranquille comme Baptiste, en train de faire des ronds de fumée, car pour Rafaël nous dit Durand : « Le bonheur c’est fumer un gros cigare en n’étant plus que ça, un têteur de double Corona sans plus de souci qu’une bonne combustion ».
D’où sortait-il ces Kirikis soyeux, ces serpentinas légères, ces trincheras autoritaires, ces recibirs fulgurants, ce fumiste invétéré si peu préoccupé de l’opprobre comme de la gloire, de la fortune comme de la misère ? De son âme, sans aucun doute.
Pierre Vidal
« Rafaël le Chauve ». Editions Verdier 10 euros. Jacques Durand sera l’invité du club le 1er février prochain.